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Sortons masqués
MONTHLY INVESTMENT BRIEF
MAI 2020
Laurent Denize,
GLOBAL CO-CIO &
GLOBAL HEAD OF FIXED INCOME
Tactiquement, nous réduisons encore un peu plus nos expo-sitions actions mais mainte-nons notre vue positive à long terme sur le crédit
Après la récente flambée des prix qui a accompagné la réponse rapide et sans limite des banques centrales et des États, les marchés des actions pourraient connaître un nouveau revers, même s'il est peu probable de retrouver les points bas de mars. En effet, les investisseurs devraient bientôt sortir de comportements dictés par l’émotion -faute de données et perspectives- et adopter une attitude plus pragmatique lors de la phase de réouverture économique.
Nous ne pensons pas que l’économie mondiale soit à l’aube d‘une nouvelle Grande Récession ou d’une période prolongée de désendettement forcé. Cependant, le choc provoqué par le COVID-19 est d‘une telle ampleur, qu‘il empêchera un rebond rapide de l‘activité sur les niveaux précrise. Cela peut entraîner une certaine déception à court terme, car la forte remontée des actions (qui a suivi la vente panique précédente) pourrait bientôt céder la place à une analyse plus rationnelle sur le profil et le degré de l'activité économique et des résultats des sociétés dans l‘année à venir. Nous sommes préoccupés par le fait que le marché a une fois de plus pris trop d’avance sur les fondamentaux. Les investisseurs semblent ainsi très confiants sur une réouverture économique ordonnée et réussie. De nombreux pays cherchent à rouvrir leur économie, mais pour le faire en toute sécurité et pour se rapprocher des niveaux de production antérieurs, il faudra une série de percées médicales et une large diffusion du traitement autrement plus convaincantes que les premiers résultats des produits existants appliqués au Covid-19.
Par ailleurs, l'indice de référence S&P 500 a rebondi dans la fourchette qui prévalait à la mi-2019 (bien que les actions mondiales hors États-Unis soient encore bien en dessous de ces niveaux). Pourtant, l'économie mondiale (y compris aux États-Unis) est beaucoup plus faible qu'il y a un an. Les bénéfices se sont fortement contractés, les prévisions ne sont guère optimistes et offrent peu de visibilité sur le long terme. Le soutien des prix par les rachats d'actions de ces dernières années s'est évaporé. De plus, il convient de noter que la fin des marchés baissiers des actions est généralement caractérisée par un retournement dans la performance des secteurs ou styles du précédent marché haussier. Or ce phénomène n’a pas encore eu lieu et au contraire, les valeurs technologiques et les valeurs de croissance séculaires ont continué à dominer, contribuant ainsi à la poursuite de la surperformance américaine. En anticipant seulement 20% de baisse des bénéfices par action en 2020 et surtout un rebond de 25% en 2021, les investisseurs américains nous semblent particulièrement complaisants. Certes, nous ne doutons pas du support sans limite des banques centrales mais les sociétés vont sortir de la crise plus endettées encore, sans pouvoir augmenter leur capacité d’investissement. Il y a donc peu de chances que le chômage se résorbe rapidement aux États-Unis ce qui va peser sur la consommation, moteur essentiel de la croissance américaine. Le comportement des consommateurs chinois est ici plein d‘enseignements car si la consommation courante a bien connu un effet de rattrapage, ce n‘est pas le cas des biens durables. En zone euro, les investisseurs actions anticipent une baisse plus forte des profits (-35%) mais également un rebond qui amèneraient les bénéfices à fin 2021 seulement 20% en deçà de ceux de 2019. Sans coordination plus marquée des États, ce schéma paraît irréaliste, d‘autant que la croissance potentielle était et reste bien plus faible qu‘aux États-Unis.
Quelle stratégie adopter ?
Tactiquement, nous réduisons encore un peu plus nos expositions actions (nous étions neutre avec un biais défensif) mais maintenons notre vue positive à long terme sur le crédit qui bénéficie du soutien sans faille des banques centrales. Le fort resserrement récent des spreads appelle là aussi à un peu de prudence et nous ne recommandons pas de renforcer sur ces niveaux.
En revanche, dans cet univers de taux zéro, le crédit offre un atout majeur : un rendement positif très élevé (5%-7% environ en fonction des maturités) qui, grâce à des gains de portage conséquents permet d‘acheter des couvertures. Sous quelle forme ? Réduction des expositions en direct et reconstitution de la poche cash mais aussi construction de profils convexes avec l’achat de puts dont la volatilité est revenue sur des niveaux plus acceptables. L‘achat de primes permet de continuer à bénéficier de la hausse, si hausse il y a. Car à tout scénario central, il faut opposer un scénario alternatif, à savoir une avancée significative sur le plan de la pandémie (vaccins, médicaments, disparition du virus…) ou tout simplement la confirmation de l‘adage "Don‘t fight the central banks".
En conclusion, par prudence, et compte tenu du rebond récent, il nous apparaît cohérent de « sortir masqués ». Non pas pour se dérober mais pour nous protéger et lutter contre notre fragilité par rapport à cette maladie et à ses effets, qui pour la plupart nous échappent encore. Dans le but, cette fois non dissimulé de racheter plus bas des actifs de qualité qui survivront à cette crise sans précédent. Et là aussi il ne faudra pas se tromper.