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L’Europe à la croisée des chemins
STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT
JUIN 2020
Laurent Denize,
GLOBAL CO-CIO &
GLOBAL HEAD OF FIXED INCOME
Dès que les prévisions de résultats des entreprises repartiront à la hausse, nous pourrons revenir à la normale. Mais d'ici là, la prudence reste de mise.
Ces dernières semaines, après trois mois de stagnation, l'Europe s'est réveillée d'un « coma artificiel » provoqué par la crise du Covid-19. Les terrasses de café et les bureaux des métropoles se remplissent à nouveau progressivement, et les promenades en bord de plage attendent les estivants. Les marchés boursiers se sont également repris après les pertes spectaculaires du printemps. Presque tous les actifs risqués ont récupéré au moins 50 % de leurs pertes liées à la crise. Alors que certains secteurs tels que la technologie et la santé sortent gagnants de la crise suite à une forte demande pendant la période de confinement, à partir de la mi-mai, l'appétit des investisseurs pour le risque s'est tourné vers les valeurs industrielles cycliques. Les tendances d'investissement structurelles à long terme, telles que la technologie, l'IA et l’investissement durable, ont même été renforcées par la crise du coronavirus. Grâce au soutien des banques centrales en Europe et aux États-Unis, les obligations à haut rendement ont attiré d'importants flux de capitaux dans le monde entier. Pour autant, peut-on considérer que tout est revenu à la normale ? Ou est-ce que les marchés des capitaux se sont à nouveau découplés de la réalité macroéconomique?
La durabilité de la reprise après l'un des marchés baissiers les plus courts que nous ayons jamais connus dépendra en fin de compte de notre capacité à contenir la propagation du Covid-19. Dans la plupart des pays développés, le nombre de nouveaux cas est en baisse. On constate cependant une recrudescence du virus dans certaines régions et nous devrons certainement vivre avec le risque d'une deuxième vague pendant encore un certain temps.
Allons-nous sortir plus forts de la crise ?
Aussi sévère qu'ait été le choc causé par les mesures de confinement partout dans le monde - 147 pays dans le monde sont en récession (contre 88 lors de la grande crise financière de 2009) - la croissance pourrait maintenant reprendre tout aussi rapidement. C'est ce que montrent les chiffres en forte hausse de la Chine en matière d'investissements dans les infrastructures et la demande de détail. En Europe, le facteur déterminant a été la réaction des gouvernements et des banques centrales, qui ont agi rapidement et massivement. Avec le Fonds européen de relance proposé par la Commission européenne, d’un montant de 750 milliards d'euros, nous avons pour la première fois une chance de parvenir à une plus grande solidarité entre les Etats disposant d'une marge de manœuvre bud-gétaire, comme l'Allemagne et la France, et ceux qui n'en ont pas, comme l'Espagne et l'Italie. L'Europe se trouve ici à tournant décisif : si elle parvient à concilier solidarité et investissements créateurs de valeur, elle pourrait sortir renforcée de la crise.
Outre la redoutée deuxième vague de Covid-19 - que nous surveillons attentivement en examinant les données à haute fréquence - il existe également d'autres risques qui menacent le rythme de la reprise. A part aux États-Unis, où la structure du marché du travail rend possible la mise en œuvre de plans de réaffections rapide des emplois, le chômage pourrait se révéler plus persistant que prévu en raison des changements structurels déclenchés par la pandémie. Si la récession s'avère plus grave qu’attendu, le nombre de faillites d'entreprises augmentera inévitable-ment. Les élections présidentielles américaines de l'automne et les négociations du Brexit renforcent les incertitudes politiques. Aux États-Unis en particulier, une victoire des démocrates s'accompagnerait d'une augmentation de l'impôt sur les sociétés, avec un impact direct sur les BPA. Il faut maintenant voir si les valorisations actuelles reflètent correctement ces risques. Comment les investisseurs doiventils se positionner dans cet environnement ?
La grande rotation a-t-elle vraiment débuté ?
Les actions : Si l'on considère la performance récente du marché actions et les ratios cours/bénéfice (P/E), il semble que l'année 2020 ne fasse plus partie de l'équation. Il est intéressant de noter que les actions de style « Value » ont clairement surperformé les actions de style « Croissance » et de « Qualité » depuis la mi-mai. La grande rotation que de nombreux investisseurs attendaient depuis longtemps a-t-elle enfin commencé ? Les écarts de valorisation importants entre les actions de style « Croissance » et les actions de style « Value », en termes de ratio cours/actif net (P/B), pourraient plaider en faveur de cette grande rotation. En particulier, les valeurs du secteur de la techno-logie, très demandées pendant la crise du Coronavirus, ont atteint des valorisations historiquement élevées. Cependant, aux vues des signes modestes de hausse de l'inflation et des taux d'intérêt, les facteurs propices à un rebond durable du style « Value » restent limités. Les secteurs de type « Value » typiques tels que l'automobile ou les télécommunications sont également confrontés à de lourds défis, avec notamment des besoins d’investissements importants dans la e-mobilité et la 5G. Dans ce contexte, nous continuons à privilégier les valeurs des secteurs de la technologie et de la santé, - qui bénéfi-cient de tendances à long terme, - les valeurs industrielles, soutenues par la reprise économique, ainsi que les banques, qui se sont déjà largement adaptées au durcis-sement de l'environnement réglementaire.
Taux et crédit : le rebond du segment obligataire à haut rendement a été rapide, en grande partie grâce au soutien des banques centrales et à une activité réduite sur le marché primaire (seulement partiellement compensée par le passage de certaines obligations « investment grade », en catégorie spéculative – les dits « Fallen Angels»). Si nous restons constructifs à moyen/long terme, nous considérons qu'il y a peutêtre moins de potentiel dans ce segment à court terme. En revanche, les obligations d'État périphériques et le crédit de qualité investment grade continuent d'offrir un certain potentiel de rendement.
Devises : Nous pensons que l'euro pourrait finir par s'apprécier par rapport au dollar en raison d’un moindre différentiel de taux, de déficits jumeaux américains qui se creusent et d’une solidarité européenne mise au service de la croissance et des investissements. Enfin, il convient de mentionner la pandémie, qui semble actuellement plus problématique aux États-Unis qu'en Europe.
Tout porte à croire que les actifs risqués devraient conti-nuer à performer : baisse du nombre de nouveaux cas d’infection, soutien maximal des gouvernements et des banques centrales, moindre volatilité, retour à la normale des entreprises à la fin de la phase de confinement, pre-miers signes de reprise économique. Dès que les prévisions de résultats des entreprises repartiront à la hausse, nous pourrons revenir à la normale. Mais d'ici là, la prudence reste de mise.