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La fin du rêve américain
Laurent Denize – Global Co-CIO ODDO BHF
Nous avouons entretenir un “biais” stratégique en faveur du marché américain et les 15 dernières années nous donnent raison. Depuis la fin de la crise financière de 2007-2008, l’Europe n’a surperformé que durant 27 mois, soit un peu plus de deux ans. La surperformance structurelle des États-Unis par rapport à l’Europe s’explique principalement par une dynamique des bénéfices par action plus robuste outre-Atlantique.
Qu’en est-il des derniers mois ? Depuis le début de l’année, l’EuroStoxx 50 a légèrement surperformé le S&P500 et la performance du marché européen par rapport au marché américain a été relativement bonne, malgré un mix sectoriel plutôt défavorable. Cette situation annonce-t-elle la fin du rêve américain ? Nous ne pensons pas, mais elle pointe vers la nécessité de reconsidérer l’Europe... au moins d’un point de vue tactique.
CERTAINS CHEMINS MÈNENT À L'EUROPE
Amélioration de l'activité économique et davantage de surprises positives pour l’Europe que pour les États-Unis
Nous prévoyons une reprise de la croissance accompagnant les surprises économiques désormais positives dans la zone euro. Contrairement aux États-Unis, l'Indice de surprises économiques pour la zone euro suit une trajectoire ascendante depuis novembre 2023, avec des niveaux suggérant que les publications économiques ont constamment surpassé les attentes. Entre-temps, nous voyons l’Europe profiter d’une reprise des indices PMI et, en particulier, d'un redressement du cycle industriel. À cet égard, l'indice composite des directeurs d'achat (PMI) pour la zone euro a récemment augmenté de 49,2 à 50,3, passant ainsi en territoire expansionniste.
La BCE n’attendra pas la FED pour amorcer un assouplissement monétaire
La tendance désinflationniste se poursuit, et les attentes du marché indiquent que la BCE abaissera ses taux plus tôt que la FED. Après avoir initié son cycle de resserrement à la mi-2022, la BCE se tient désormais prête à dérouler sa politique accommodante et ce, dès la réunion du mois de juin. Nous prévoyons trois baisses de taux par la BCE en 2024 (chacune de 25 points de base). Il est intéressant de noter que ce mouvement d'assouplissement devrait précéder des actions similaires de la Réserve fédérale américaine. La possibilité d'une baisse des taux en juin par les homologues américains, en particulier après des données plus solides que prévu sur l'emploi (303 000 emplois non agricoles créés en avril contre 214 000 attendus) et des chiffres décevants sur l'inflation, est désormais remise en question par les marchés. Historiquement, les actions ont réagi positivement aux baisses de taux, en particulier lorsqu'aucune récession n'est imminente. Nous pensons que les actions européennes devraient bénéficier de cette politique monétaire favorable.
Prévisions de bénéfices trop pessimistes pour l'Europe
Les estimations de bénéfices par action (BPA) pour 2024 demeurent modestes en Europe, tant pour le premier trimestre que pour l’année entière. Bien que les révisions des BPA aient été légèrement négatives pour l'Europe depuis le début de l'année, elles semblent désormais se stabiliser. Les prévisions pour le premier trimestre 2024 sont de -11 % sur 1 an (mais avec une augmentation séquentielle de +5 %, marquant la première hausse de ce type depuis 2022).
Ces estimations restent modestes et relativement faibles au regard de l'amélioration des conditions économiques. Nous pensons qu'une croissance moyenne à un chiffre est réalisable pour l'exercice 2024 compte tenu des effets de base favorables, en particulier pour les matières premières, tandis que la croissance du PIB proche de la tendance devrait préserver les marges et le chiffre d'affaires. Nous nous attendons donc à de nouvelles révisions des bénéfices après la saison des résultats du premier trimestre.
Décote record
Aujourd’hui, et bien plus que par le passé, les actions européennes se négocient avec une forte décote par rapport aux valeurs américaines. Le ratio cours/bénéfice (P/E) à 12 mois s'établit à environ 13 fois en Europe (5 % en dessous de sa moyenne depuis 2014), contre environ 21 fois aux États-Unis (70 % au-dessus de sa moyenne depuis 2014). Cette différence relative remarquable (environ 0,6x) représente le niveau historique le plus bas. L’IA explique en partie cette différence, mais les écarts les plus importants se trouvent dans des secteurs hors technologie comme la finance, l'énergie et la consommation discrétionnaire. Il est d'autant plus remarquable que l'écart persiste même après ajustement sectoriel et après ajustement tenant compte des différentes perspectives de croissance.
Rendement plus élevé pour les actionnaires en Europe
C’est dans la zone euro que le dividend yield (rendement des dividendes) est le plus élevé (3,5 % attendus pour 2024), avec des chiffres plus attractifs que sur d'autres marchés comme le Japon (2,2 %), les États-Unis (1,5 %) ou les marchés émergents (3,2 %). Le rendement des rachats d’actions en Europe est également proche des niveaux américains, à environ 1,5 %, témoignant de la confiance des entreprises dans leurs perspectives de croissance. Ce profil de revenu élevé des actions européennes renforce l'attrait de la zone.
Certains facteurs techniques pointent en direction de l’Europe
Tout d’abord, les conditions de liquidité favorisent les actions européennes. Le ratio entre la capitalisation boursière et la masse monétaire atteint le niveau record de 2,4 aux États-Unis, alors qu'il n'est que de 0,6 dans la zone euro, soit le niveau le plus bas parmi les principaux marchés boursiers. Davantage de liquidités pourront être injectées dans les actions en Europe par rapport aux États-Unis. De plus, la BCE devrait réduire ses taux plus tôt (et probablement davantage) que la FED cette année, ce qui renforcera les conditions de liquidité de l'Europe par rapport à celles des États-Unis. Ensuite, les investisseurs liquident activement leurs positions courtes sur les actions européennes. Notamment, la valeur des prêts à court terme en pourcentage de la capitalisation boursière des actions européennes a atteint son niveau le plus bas au cours de la dernière décennie. Cette tendance reflète un sentiment croissant de confiance dans les perspectives de la région.
QUELS SONT NOS SECTEURS ET THÈMES FAVORIS?
Convictions structurelles : nous continuons de privilégier trois secteurs/thèmes dans l’univers des actions européennes
- Le luxe : le secteur du luxe a récemment connu une forte dévalorisation en raison des inquiétudes concernant la Chine et les taux de croissance futurs. Toutefois, la reprise attendue de l’économie chinoise devrait stimuler la demande pour les produits de luxe. Ces raisons expliquent que les révisions des bénéfices par action pour l'exercice 2024 soient positives, grâce à de solides données sous-jacentes en janvier et février, ce qui devrait profiter aux sociétés les plus haut de gamme.
- La santé : nous recommandons d’être positionné sur ce secteur défensif de haute qualité décorrélé des tendances de consommation. En outre, l'exposition du secteur de la santé aux besoins croissants de la Chine en matière de produits pharmaceutiques est aujourd’hui sous-estimée, et le fait que le secteur n'ait pas beaucoup évolué au cours des derniers mois (à l'exception de Novo Nordisk) renforce notre conviction.
- La technologie : les sociétés technologiques européennes présentent des bilans solides et génèrent d’importants flux de trésorerie, ce qui soutient leurs perspectives de croissance et justifie des niveaux de valorisation plus élevés. Nous continuons de penser que les tendances séculaires à long terme en faveur de l'intelligence artificielle restent favorables.
Convictions tactiques : nous privilégions d’une manière sélective certaines valeurs cycliques.
- Les banques : Les banques européennes sont bien positionnées pour bénéficier d’une meilleur rentabilité grâce à un scénario de soft landing de l’économie, des taux toujours élevés et un risque de provision atténué. L'activité des marchés de capitaux devrait reprendre, ce qui profitera aux banques d'investissement. La valorisation demeure très attractive, avec des rendements élevés pour les actionnaires, ce qui fait des banques un choix tactique pour nous.
- La chimie : le secteur présente la plus forte croissance des bénéfices pour 2024 et devrait profiter de la reprise des indices PMI manufacturiers mondiaux, de la baisse des prix de l’énergie et, maintenant que les stocks excédentaires ont été résorbés, du cycle de reconstitution des stocks.
- L’énergie : avec l'amélioration des conditions économiques, les entreprises du secteur de l'énergie pourraient voir leurs bénéfices par action augmenter. En outre, les réductions de production de l'OPEP+ et les risques géopolitiques ont soutenu les prix du pétrole et les actions du secteur, ce qui en fait une couverture peu chère et efficace contre les incertitudes actuelles (P/E à 7,0x et rendement >10%).
CONCLUSION :
Nous voyons un potentiel de rattrapage pour l’Europe compte tenu i) de l’amélioration de l’activité économique, ii) de la baisse de plus en plus probable des taux par la BCE en juin prochain, iii) des valorisations modestes, iv) de la décote record des valorisations. Ces raisons expliquent que nous privilégiions tactiquement les actions européennes par rapport aux actions américaines. Toutefois, si les récents développements indiquent que les actions européennes pourraient s’orienter vers une trajectoire plus favorable, cette fenêtre temporaire ne doit pas nous faire oublier que l'Europe est confrontée à certains défis structurels, ce qui nous empêche d'adopter un positionnement structurellement positif sur cette zone. D'un point de vue structurel, le « rêve américain » ne s'estompe pas et les États-Unis devraient continuer à surprendre positivement.
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