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Une équation complexe

Perspectives de marché 12.05.2022

MONTHLY INVESTMENT BRIEF

5 MAI 2022

Laurent Denize
Laurent Denize,
Directeur des investissements,
ODDO BHF AM
Brice Prunas
Brice Prunas,
Gérant de portefeuilles,
Intelligence Artificielle, ODDO BHF AM
“ Il faut donc orienter nos investissements dans des sociétés dont le bénéfice croit plus que l’inflation de long terme. […]
Il faut donc combiner dans son portefeuille sociétés décotées et valeurs de croissance rentables pour construire un portefeuille robuste

Les investisseurs sont confrontés à un choix cornélien : baisser de nouveau le niveau de risques en accompagnant la détérioration économique globale dans un marché qui a déjà corrigé de près de 15% ou repondérer les actions en privilégiant les résultats des entreprises aujourd’hui solides mais potentiellement à risque.

Tranchons le débat : les estimations actuelles de bénéfices en Europe pour 2022 sont trop optimistes avec le ralentissement économique de la Chine, la détérioration de l'économie mondiale et le choc d’offre énergétique.

Premièrement, les séquences bénéficiaires en Europe sont aussi sensibles aux fluctuations économiques chinoises qu'à l'activité économique européenne, qui subit le fort ralentissement allemand. Même si l’offre de crédit chinois est amenée à rebondir, l'effet retardé du ralentissement précédent des flux de crédit continuera de nuire à la croissance européenne à court terme. Par ailleurs, la réponse politique de Pékin à la dernière épidémie de COVID ne fait qu'accentuer ce vent contraire.

Deuxièmement, le ralentissement de la croissance mondiale hors Chine menace également les bénéfices européens. La baisse du ratio nouvelles commandes/inventaires de l'indice ISM américain est un indicateur avancé du ralentissement de la croissance des bénéfices dans la zone euro. La croissance des exportations mondiales s'est effondrée à 5,5 %, contre plus de 20 % l'année précédente, et devrait continuer à se détériorer.

Troisièmement, la répercussion de la hausse des prix énergétiques n'est pas assez forte pour protéger les marges bénéficiaires des entreprises. Les effets de second tour (spirale prix/salaire) déjà présents aux Etats-Unis pourraient se mettre en place en Allemagne. Historiquement, cela s'est traduit par une contraction des marges bénéficiaires d'exploitation.

Il faut donc orienter nos investissements dans des sociétés dont le bénéfice croit plus que l’inflation de long terme que nous estimerons par simplification à 3%. Par exemple, une croissance des bénéfices de 10% permet de payer une entreprise 16 fois ses bénéfices de manière à pouvoir compenser l’inflation sur 10 ans, mais seulement 12 fois si l’inflation s’établit à 5%. Le S&P traite aujourd’hui sur des niveaux de 19 fois les bénéfices, le STOXX600 à 13 fois mais avec des anticipations de séquences bénéficiaires historiquement plus faibles.

On comprend bien la complexité de l’équation à résoudre. Il faut donc combiner dans son portefeuille sociétés décotées et valeurs de croissance rentables pour construire un portefeuille robuste. En effet, une récession indiquerait une nouvelle sous-performance des secteurs cycliques pourtant faiblement valorisés. A contrario, une hausse de l’inflation encore plus marquée heurterait significativement les valeurs de croissance.

Dans ce contexte, tentons de trouver des pistes d’investissement.

Première idée : le secteur des logiciels aux Etats-Unis

Depuis le début de l’année 2022, le secteur des logiciels aux Etats-Unis est entré dans une phase de rachats successifs, émanant de fonds de private equity. Les fonds de private equity ont historiquement polarisé une grande partie de leurs investissements sur le secteur des logiciels compte tenu des caractéristiques intrinsèques d’un secteur qui cumule des atouts rares : 1) des marchés adressables en forte croissance et dont la visibilité est élevée (les vagues d’investissement liées à la digitalisation, au cloud public ou à la cyber sécurité n’étant qu’à leurs prémices); 2) des business models aux ventes récurrentes et qui le sont de plus en plus (compte tenu de la migration du secteur d’un modèle licences/maintenance à un modèle d’abonnement aussi appelé Software as a Service) ; 3) une génération de free cash flows très supérieure à celle du marché du fait de marges opérationnelles élevées et d’investissements relativement faibles.

Par ailleurs, il convient de noter que les valorisations sont aujourd’hui plus attractives. Le secteur des logiciels américains vaut environ 9,6 x les ventes (contre 9,5x les ventes pour la moyenne des 5 dernières années et 17,2x les ventes au point haut du secteur en 2021 selon Morgan Stanley).

Enfin, avec la décélération de la croissance attendue, les plus gros éditeurs de logiciels vont doper leur croissance future en achetant d’autres éditeurs qui leur fourniront l’entrée sur un ou plusieurs marchés en forte croissance, voire l’accès à certaines technologies. Les segments les plus attractifs devraient rester : la Cyber-Sécurité, le Devops, l’Analytics, l’Observabilité, l’ITSM (gestion des services informatiques), l’ITOM (gestion des opérations informatiques), et les logiciels de collaboration.

Deuxième idée : les sociétés américaines de biotechnologie, en particulier celles qui ont su construire des plateformes de développement digitalisées et innovantes

Pour rappel, le temps de développement moyen d’un médicament sur tous ses cycles est en moyenne de 8 ans. L’industrie pharmaceutique s’est donc toujours structurée autour de cycles longs et de retours sur capitaux employés limités par des taux de succès faibles dans les phases de développement. Nous l’avons vu notamment avec la crise du Covid et les développements extrêmement rapides sur les vaccins ARNm, les récents développements dans l’Intelligence Artificielle (AI) et le Machine Learning (ML) vont faire rentrer cette industrie dans une nouvelle ère.

Trois types de bénéfices de l’AI/ML sont d’ores et déjà identifiables :

  1. l’identification de thérapies innovantes
  2. la réduction des délais nécessaires au développement des médicaments
  3. l’augmentation de la probabilité de succès sur les molécules en phase d’essais cliniques

Par exemple, les algorithmes de Machine Learning vont apporter des bénéfices majeurs dans la définition du bon dosage de la molécule testée pour atteindre l’optimum dans le couple « efficacité vs toxicité » et la constitution de cohortes de patients pour les essais cliniques qui réunissent les caractéristiques (phénotypes et génotypes) souhaitées. Ces approches thérapeutiques innovantes ouvrent des perspectives de guérison inenvisageables il y a quelques années. Au prix actuel, certaines valorisations ont été divisées par 3 voire plus et offrent des points d’entrée attractifs.

Pour finir, nous maintenons une allocation action prudente, restons short duration mais réduisons encore notre écart au benchmark. Vous l’aurez compris, la prochaine séquence bénéficiaire risque d’être moins favorable, … pour certains secteurs ou thématiques pas sur tous les secteurs.


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