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Où va la France ?

Perspectives de marché 13.06.2024

Bruno Cavalier – Chef économiste ODDO BHF

 

 

 

POINTS CLÉS :


  • Les élections législatives anticipées créent une incertitude politique inédite
  • Trois options : victoire de Macron, division en trois blocs, victoire du Rassemblement National (RN)
  • La dernière option est la plus probable et conduirait à une « cohabitation » entre Macron et le RN
  • Le risque de Frexit a disparu mais la politique économique du RN peut inquiéter les investisseurs
  • La prime de risque sur la dette française risque de monter davantage

 

    En France, les récentes élections pour le Parlement européen ont abouti à la déroute du parti présidentiel. Il recueille deux fois moins de voix que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, à respectivement 14.6% et 31.3%. Ce résultat était certes prédit par les instituts de sondages, mais la défaite n’en est pas moins dure à supporter pour Emmanuel Macron. D’une part, il s’était investi dans la campagne, multipliant les discours pour défendre l’intégration européenne. D’autre part, le RN a continué de progresser dans diverses catégories de la population qui lui étaient jusqu’alors assez hostiles (femmes, cadres, retraités). En réaction Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale et appelé de nouvelles élections législatives les 30 juin et 7 juillet. Cette décision extrêmement rare a pris tout le monde par surprise, y compris dans le camp présidentiel. Cela crée une situation d’incertitude politique rarement atteinte. Alors où va la France ?

     

    Considérons tout d’abord l’aspect politique. La constitution française autorise le président à dissoudre l’Assemblée dans la limite d’une fois par an. Depuis soixante-six ans que la Cinquième République a été fondée, ce droit n’avait été utilisé qu’à cinq reprises, la dernière fois il y a près de trente ans. L’exemple le plus fameux est la dissolution de mai 1968 décidée par le général De Gaulle en réponse à la profonde crise sociale qui avait paralysé le pays pendant des semaines. 

    En prononçant la dissolution de l’Assemblée, Emmanuel Macron reconnaît qu’il n’est plus en capacité de poursuivre son action. Il ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée et son gouvernement est sous la menace constante de voir tous les partis d’opposition s’unir pour faire chuter le gouvernement. En deux ans, cela ne s’est pas produit mais c’est une épée de Damoclès. La décision du président n’en est pas moins dangereuse puisqu’elle pourrait tourner à l’avantage des partis d’opposition. Elle intervient de surcroît à quelques semaines d’un événement sportif planétaire, les Jeux Olympiques de Paris 2024, qui va mobiliser d’énormes ressources pour assurer la sécurité et l’accueil des visiteurs.

    Les conséquences du pari de Macron sont incertaines. Le scénario idéal pour le président serait de réussir un coup à la De Gaulle sur le thème : moi ou le chaos. Il forcerait ainsi certains électeurs de gauche et de droite à rejoindre son alliance centriste par rejet des partis radicaux, La France Insoumise à l’extrême-gauche, le RN à l’extrême droite. Toutefois, la situation actuelle n’a rien du caractère insurrectionnel qui existait en 1968.

     

    Quels sont les scénarios de cette élection ? Compte tenu des alliances en cours entre partis politiques, il pourrait y avoir trois blocs, l’un réunissant la gauche et l’extrême-gauche, un autre, Macron et ses alliés, et le troisième composé du RN et de transfuges du parti conservateur. Evidemment, chaque bloc prétend qu’il peut gagner. 

    Les premiers sondages disponibles s’accordent pour dire qu’une victoire de Macron est très peu probable et donnent  tous la victoire au RN, l’incertitude étant sur son ampleur. Les particularités du système de vote français (deux tours, 577 circonscriptions) entourent en effet les projections d’une assez grande marge d’imprécision. Il est possible que les élections ne donnent la majorité absolue à aucun camp dans la nouvelle Assemblée. Ce serait une situation de blocage. Le gouvernement quel qu’il soit se contenterait de traiter les affaires courantes et tout projet de réforme serait exclu. Il est tout à fait possible aussi que la nouvelle Assemblée soit dominée par la RN. 

    Dans ce cas, le président devrait demander au chef du RN, Jordan Bardella, de former un gouvernement, avec le secret espoir que ce parti se montre incapable de conduire efficacement le pays. Certains disent que ce serait le véritable objectif du président afin de décrédibiliser son adversaire Marine Le Pen avant l’élection présidentielle de 2027. Notons que Macron ne peut se présenter pour un troisième mandat consécutif. En poussant très loin le jeu de la politique fiction, on pourrait même envisager une dernière hypothèse qui serait la démission du président, amenant à des élections présidentielles anticipées (un cas unique dans l’histoire française, De Gaulle encore, mais en 1969)

    Une situation de « cohabitation » entre un président d’un bord politique et un gouvernement d’un bord opposé s’est produite trois fois dans le passé dans les années 1980 et 1990. Le président se retranche alors sur son domaine réservé des affaires étrangères et le gouvernement s’occupe des affaires domestiques. Cela peut générer des frictions entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement. Dans tous les cas, la conduite de la politique économique et budgétaire deviendrait moins prévisible à court terme.

    Quelle est la situation économique de la France ? Ces dernières années, l’économie française a subi les mêmes chocs que ses voisins. Les conditions d’activité ont été perturbées comme jamais. Il y a d’abord eu un effondrement de l’activité lors de la pandémie, suivi d’un fort rattrapage ; une envolée de l’inflation lors de la crise énergétique, suivie d’une désinflation rapide ; un assèchement du crédit suite au resserrement de la politique monétaire ; une dégradation des finances publiques.
    Au vu des résultats de 2023 et des prévisions pour 2024, la croissance économique française est un peu supérieure à la moyenne européenne et l’inflation un peu plus basse. Le marché du travail est plutôt solide mais les défaillances d’entreprises tendent à monter. Le climat des affaires est relativement stable depuis plusieurs mois à un niveau compatible avec une croissance molle. Le moral des ménages reste faible par suite du choc sur le pouvoir d’achat. En somme, c’est l’image d’une économie convalescente mais qui n’a pas encore effacé tous les chocs passés. Dans ces conditions, l’incertitude politique est de nature à créer un climat d’attentisme qui pourrait avoir des conséquences dommageables pour les projets d’investissement et d’embauche des entreprises.

     

    Quelles implications pour les finances publiques ? On touche là au point faible traditionnel de la France. Juste avant la pandémie, en 2018 et 2019, le déficit budgétaire français avait été ramené sous le seuil critique des 3% du PIB. La dette était stabilisée à 98%. Sur les quatre dernières années, la situation s’est grandement dégradée. L’an dernier, le déficit budgétaire est ressorti à 5.5% du PIB et la dette frôlait 110% du PIB. En 2007, avant la crise financière, la dette publique rapportée à la population française représentait 20.000 euros par personne. En 2023, c’était 45.000. Dans deux ans, ce sera 50.000.

    La note souveraine du pays a été abaissée par l’agence Fitch l’an dernier et par l’agence S&P le mois dernier. D’ici quelques jours, la France sera placée en procédure de déficit excessif par la Commission européenne, en même temps qu’une dizaine d’autres pays de l’UE. La position budgétaire de la France s’est dégradée non seulement vis-à-vis de l’Allemagne mais aussi d’autres de ses voisins. Tout cela réduit les marges de manœuvres budgétaires du prochain gouvernement quel qu’il soit. 

    D’ordinaire, le risque politique est perçu comme faible en France. Avant l’élection présidentielle de 2017, les investisseurs s’étaient inquiétés du « Frexit » (sortie de la zone euro) car c’était un élément du programme de Marine Le Pen à l’époque. Dès sa défaite consommée, elle a rejeté cette idée une fois pour toutes. Le RN ne manque pas de critiquer l’UE mais ne cherche plus à la quitter, c’est un point acquis. 

    Désormais, le risque de « Frexit » peut être considéré comme nul. Le risque politique tient davantage au coût financier des mesures économiques mises en avant par le RN. 

    Lors de l’élection présidentielle de 2022, la Fondation Concorde avait estimé que le programme de Marine Le Pen alourdirait le déficit budgétaire structurel de 3.3% du PIB par an. Aujourd’hui, le RN entretient un certain flou sur sa politique économique s’il devait diriger le prochain gouvernement. Ses priorités portent surtout sur les questions de sécurité et d’immigration. Certaines promesses de dépenses ne sont pas compatibles avec une maitrise des déficits et de l’endettement. Une politique budgétaire trop laxiste pourrait être sanctionnée par une hausse des taux d’intérêt sur les marchés. C’était arrivé au gouvernement britannique de Liz Truss en 2022 et au gouvernement italien M5S-Lega en 2018, ce qui ne leur a pas porté bonheur. C’est sûrement une leçon à méditer. 

    Ici un rappel important s’impose : environ la moitié de la dette française est détenue par des investisseurs étrangers (graphe). Cette part s’est réduite depuis 2010 mais est telle que l’aventurisme budgétaire ne serait pas toléré. Depuis deux ans, le spread de taux d’intérêt entre les emprunts d’Etat français et allemands a évolué au voisinage de 50pdb. Dans les circonstances actuelles, le risque est que cette prime augmente avant que la situation politique se clarifie.

     

    Quelles implications pour l’Europe ? Il est difficile de dire dans quelles proportions la défaite d’Emmanuel Macron aux récentes élections européennes est due à sa personne (sa cote de confiance ne s’est jamais remise de la crise des "gilets jaunes" en 2018) ou à ses idées favorables à la poursuite de l’intégration européenne dans un monde tenté par le repli sur soi. Il est certain en tout cas que les propositions du président français pour développer l’autonomie stratégique de l’Europe, renforcer sa défense, augmenter son budget ne sortent pas renforcées. 

    En Allemagne, la coalition tripartite au pouvoir a aussi subi un revers aux élections européennes, et en particulier le parti du chancelier Scholz. Il y a cinq ans, l’attribution des principaux postes de l’UE avait été négociée entre la France et l’Allemagne, deux pays qui semblaient assez forts pour imposer leurs vues au reste de l’UE. Cette fois, les deux pays sont affaiblis, de même que leurs dirigeants. Le jeu européen en devient plus complexe, donc plus incertain.




     

     

     

     

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